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Durée : 55´
...depuis novembre 2018 : Avec l’accord officiel du Musée des Beaux arts, des médecins francophones ont parié sur la dimension thérapeutique de l’art, en prescrivant à leurs patients, et à leurs proches… des visites gratuites au musée.
L’idée d’un « art-thérapie » n’est certes pas nouvelle. Mais il s’agit le plus souvent de miser sur le caractère bienfaisant d’une « créativité personnelle ». L’expérience ici tentée fait un pari différent : ceux qui regardent des tableaux pourraient en être sinon guéris, du moins apaisés. Ces visites ayant lieu au Musée de Montréal, qui comprend des chefs d’œuvre, l’effet soignant est peut-être même supposé proportionnel à la force des œuvres contemplées.
Mais, au juste, à la force de quoi ?
À celle de déclencher un bouleversement émotionnel, chez les malades concernés ? Mais dans ce cas, la musique ou la littérature ne seraient-elle pas plus propice ?
Il est vrai que Flaubert nous a avertis, par la tragique destinée de Madame Bovary, que les « assouvissements imaginaires », par littérature interposée, sont précisément de ceux qui peuvent conduire un être humain au suicide. Le « bovarysme » est pour ainsi dire devenu la désignation d’une « maladie textuellement transmissible », suivant l’expression humoristique de Daniel Pennac !
L’art peut ne pas faire que du bien et les exaltations wagnériennes de Hitler en sont la preuve.
Si l’inflation de l’imaginaire peut constituer un risque, dont il est prudent de se tenir à distance, en quoi l’art peut-il nous préserver, au point que des médecins songent à prescrire des visites au musée, à des êtres humains en souffrance ?
À quelles conditions l’art peut-il donc être salvateur ?
Dans Le monde commence aujourd’hui, Jacques Lusseyran, le voyant aveugle, déporté pour fait de résistance à l’âge de 20 ans, à Buchenwald, raconte l’épisode extraordinaire où, s’étant mis à réciter de la poésie dans l’enfer de la captivité, ses compagnons d’infortune, dont la plupart ne parlaient pas sa langue, se rassemblèrent autour de lui dans une vraie ferveur, pour s’abreuver à la source de la Parole ! Au delà du sens des mots, elle « faisait flamber le désir de vivre » ! Lusseyran fit alors de la déclamation poétique un acte de résistance : « je me jetai dans une campagne de poésie ! », « Je décidai la mobilisation des mémoires ». Et Lusseyran d’expliquer le phénomène, non par le pouvoir qu’elle aurait eu de provoquer un épanchement sentimental, mais au contraire par celui de « chasser les hommes hors de leurs refuges ordinaires qui sont des lieux plein de danger » : ceux de la nostalgie et des histoires personnelles.
Au cœur du désastre, « la poésie faisait place nette ». Elle avait le pouvoir de faire exploser les limites du moi. Boris, un prisonnier qui récitait Péguy, dit un jour à Jacques : « Ta main est à toi, ton corps est à toi, tes idées sont à toi. C’est une bien grande misère. Mais la poésie, ce n’est pas à toi, ni à moi, ni à aucun d’entre eux. Aussi, ils en vivent. »
Or, tout art véritable est poésie. Les médecins de Montréal pourraient tout aussi bien prescrire des campagnes de poésie !
Danielle Moyse
Bibliographie :
Le monde commence aujourd’hui Jacques Lusseyran - Folio
Réflexions, Vii-Xi - Cahiers Noirs 1938-1939 Martin Heidegger - Traduction Pascal David - Gallimard
Madame Bovary, Gustave Flaubert - Folio
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