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Durée : 63´
Adolescent, je me souviens de ma découverte de l'œuvre de Martin Heidegger. J'y ai vu une parole qui s'adressait enfin à mon époque et qui, comme aucune autre, entrait de plain-pied avec les difficultés que je traversais et les questions que je me posais. De façon vraiment frappante, avant même que je puisse comprendre entièrement la profondeur de sa pensée, elle me répondait à même son écriture, dans son mouvement qui libère le lecteur, le faisant entrer en un rapport plus ouvert à sa propre existence et à la réalité qui apparaissait tangiblement. Quand je me sentais malheureux, que tout me semblait vide et gris, il me suffisait de la lire pour retrouver de l'allant car elle m'ouvrait une place où je pouvais enfin, dans un même mouvement, me tenir et me poser. La lire, c'était comme lorsqu'on se trouve dans une pièce étouffante, pouvoir enfin ouvrir la fenêtre et sentir un air vif et frais qui nous permet de respirer.
Or cette possibilité de respiration, cet allant retrouvé, vient de la manière dont Heidegger nous fait entrer dans l'espace originaire de la pensée. Chaque fois que je lis Heidegger je fais l'épreuve que, comme le dit Aristote : « la pensée est le sommet de l'existence humaine ». Cette phrase qui pourrait sembler arbitraire et abstraite, il est alors possible d'en faire directement l'épreuve. Il existe une dimension de la pensée — à mille lieues de tout ce que l'on connait — qui rend pleinement et profondément heureux. Mais parfois, certains termes nous arrêtent. Que veut dire « Etre », « Dasein », « Factivité » ou encore « aître » qui un jour est apparu dans les traductions ?
La deuxième raison, est qu'en assistant en auditeur libre au cours de François Fédier en classe de Khâgne au Lycée Pasteur, j'ai réalisé que la pensée de Heidegger est d'abord un dialogue avec toute l'histoire de la philosophie — et que le lire, c'est la lire tout entière. Il me fallait désormais entrer dans la philosophie ! La tâche est vertigineuse mais passionnante car avec Heidegger, désormais Anaximandre, Héraclite, Parménide, Aristote, Platon, Descartes, Leibniz, Kant, Fichte, Hegel, Schelling, Nietzsche, Husserl et toute la philosophie s'éclairent comme jamais — et ce au premier chef parce que Heidegger est un lecteur qui fait jaillir le sens et ouvre des portes même là où l'on ne voyait que des murs. La philosophie cessant avec lui d'être scolaire, nous parle du plus essentiel.
Mais comment se repérer dans ce dialogue d'une telle profondeur que Heidegger a entretenu avec tous ces penseurs ? Ici aussi, je rêvais d'un guide qui puisse me montrer quelques directions pour pouvoir me mettre au travail.
Troisièmement, lisant Heidegger et découvrant l'infinie tendresse de son écriture et de sa pensée, j'ai été troublé quand a surgi « l'affaire Heidegger ». On voyait à la une des journaux en « gros titres » , « Pour en finir avec Heidegger ! », « Heidegger, idéologue de Hitler ? », etc. Mais que s'était-il réellement passé en 1933 ? Quels sont le sens et la portée de la grave faute politique qui a conduit Heidegger à associer son nom au mouvement national-socialiste en 1933-1934 ? Pourquoi s'en est-il séparé en 1934 ? Quelle est la portée de la critique du régime qu'il fait, avec insistance, dans le cours des années suivantes, de 1935 à 1944 ? Pourquoi ces critiques ne sont-elles pas prises en compte ? Et puis est-il vrai que Heidegger avait gardé le silence sur la Shoah ? Est-il exact qu'il avait empêché son maître Husserl de pouvoir se rendre à la bibliothèque de l'Université parce que juif ?. Nous savons, par un décret retrouvé, que c'est le recteur précédent qui a empêché Husserl de pouvoir se rendre à la bibliothèque de l'Université et nullement Heidegger. De plus, contrairement à ce qui est dit si souvent, Heidegger n'a nullement gardé le silence, mais il a écrit des pages saisissantes sur l'extermination nazie. Les exemples de ce type abondent et sont amplement exposés. Pour moi, qui ai rédigé « Auschwitz ou l'impossible regard », prendre la mesure de la catastrophe qui a fait basculer le destin de l'Occident tout entier est l'une des questions les plus décisives de mon existence.
Enfin, Heidegger, pour la première fois dans l'histoire de la philosophie occidentale, se tourne vers la poésie et l'art avec un sérieux inégalé. Il revient ainsi sur la condamnation ancestrale qui avait conduit Platon à chasser le poète de la Cité — condamnation dont Heidegger montre qu'elle est chevillée à la structure même de la métaphysique.
Ce cycle de 23 questions est ouvert à tous — à commencer par ceux qui n'ont jamais ouvert un livre de Heidegger, qui n'ont peut-être même aucune idée de ce qu'est la philosophie.
Fabrice Midal
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