CHRONIQUES / Homme ou Animal, qui est le plus vulnérable ? / VULNERABLES # 5


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De l’inversion des rapports de vulnérabilité

Durée : 29´ Longtemps, les hommes se sont protégés des bêtes sauvages, et la vie au cœur des forêts, dans la jungle, dans les lieux où glace et neige régnaient pendant de longs mois tous les ans les exposait à la possibilité de se trouver nez à nez avec des animaux dont la puissance pouvait constituer un risque mortel. Autrement dit, les individus humains ont pu être menacés par les individus d’espèces animales plus robustes, au même titre que tous les individus d’autres espèces constituant des proies susceptibles d’alimenter les plus fortes. Ainsi, est-il probable que, dans les savanes où ces splendides animaux régnaient en maître, les lionnes n’avaient guère plus d’amitié pour un humain qui leur serait tombé sous la dent, que pour la gazelle par laquelle elles, et le clan auquel elles appartenaient, allaient se nourrir.

Il fut un temps, où les hommes pouvaient mourir par les bêtes. Certes, cela arrive encore, lorsqu’un essaim de guêpes s’en prend à un être humain, lorsqu’un touriste égaré veut aller observer une bête sauvage, ou lorsqu’un reptile se défend contre une présence humaine qui l’effraie. Mais, si l’on s’en tient à ce seul exemple, il est intéressant de noter que, depuis 1974, où les autorités ont commencé à répertorier les accidents occasionnés par la rencontre entre cette espèce et l’homme, on ne compte, malgré tout, que trente agressions dues au dragon de Komodo (ce gigantesque lézard des îles indonésiennes), et, parmi elles, que cinq personnes ayant succombé à leurs blessures…

Le nombre de victimes ne diminue évidemment en rien la violence subie par ceux qu’elle a directement touchée, mais il est notable que si ces accidents sont tout à fait regrettables, ils ne font pas tomber l’espèce humaine au rang des espèces menacées, alors que le développement du tourisme, les bouleversements climatiques induits par les activités humaines ont au contraire amené les scientifiques à classer ces animaux pourtant préhistoriques, parmi les espèces en danger de disparition. Inconnus des Occidentaux jusqu’en 1910, la révélation de l’existence de ces animaux, fabuleux quelle que soit l’inquiétude qu’ils puissent provoquer, aura presque aussitôt été suivie de la mise en danger de cette existence même… Connus depuis toujours par les Indonésiens qui les considèrent parfois comme la manifestation d’âmes humaines ancestrales, et les respectent comme tels, les dragons, venus du fond des âges, pourraient n’avoir pas survécu plus d’une centaine d’années à la curiosité et à l’activité des hommes, si des mesures de protection efficaces ne sont pas prises de toute urgence…

Peut-être des espèces auront-elles disparu avant que nous les ayons découvertes, par les dérèglements divers induits par notre présence, mais il est frappant de voir ici, que la découverte semble avoir presque aussitôt correspondu à la mise en danger. Il est donc probable que la disparition des espèces soit activée par la curiosité scientifique, souvent relayée par une curiosité touristique immédiate… Découverte des animaux pourrait bien se confondre de nos jours avec un risque de destruction imminent, comme le laisse d’ailleurs entendre la mise hors d’abri perceptible à même le mot…


Prométhée, le mythe de la vulnérabilité humaine

Quoi qu’il en soit, il est évident qu’entre les hommes et les bêtes, les rapports de vulnérabilité se sont brutalement inversés en quelques décennies. Si l’on se situe au niveau de l’espèce et non de l’individu, l’asymétrie est même spectaculaire : un homme peut, individuellement, être blessé par un crocodile ou un tigre, mais c’est bien l’espèce humaine qui menace désormais l’existence des tigres ou des crocodiles. Si l’espèce humaine a pu paraître aux hommes d’autrefois comme l’espèce la plus démunie de la nature, comme l’indique le mythe de Prométhée, ses réalisations techniques et sa façon d’habiter la terre ont inversé les rapports.

Arrêtons-nous d’ailleurs à ce mythe, dont on trouve notamment une version éloquente dans le Protagoras de Platon. En effet, les personnages de Prométhée et d’Épiméthée interviennent dans la mythologie grecque au moment où les hommes façonnés par les dieux dans la terre vont, en quelque sorte, bientôt arriver à l’existence, en étant portés à la lumière, c’est-à-dire exposés à divers risques. En d’autres termes, Prométhée intervient au moment où les hommes et les autres espèces vont soudain devenir vulnérables ! C’est alors que Zeus demande à Prométhée et à son frère Épiméthée de donner aux espèces vivantes les moyens de leur protection. Épiméthée demande à son frère de faire seul la répartition, et de venir vérifier ensuite s’il a bien travaillé. Prométhée accepte. Commence alors un partage dont le but est d’équilibrer les forces en présence, de telle manière qu’aucune espèce ne puisse prendre le pouvoir sur toutes les autres… Épiméthée semble agir avec application, mais, dans la distribution, il oublie l’homme. Celui-ci se retrouve plus vulnérable que les plus vulnérables ! Prométhée rectifiera l’erreur de son frère en volant aux dieux le feu et les arts et les techniques… Malheureusement, Prométhée ne parvient pas à voler également à Zeus l’art politique… qui aurait peut-être pu assurer aux hommes un sage usage de leur nouveau pouvoir.

Ainsi, est-il particulièrement intéressant de voir que ce mythe, devenu symbolique de l’aspiration à la toute-puissance de l’homme moderne, parle d’abord et avant tout de la vulnérabilité humaine : la caractéristique première de l’homme est sa nudité, et Prométhée n’interviendra (à ses risques ses périls, puisque la colère de Zeus le condamnera à avoir le foie mangé par un aigle, pour l’éternité…) que dans l’intention de protéger les hommes démunis. Ainsi, ce mythe exprime-t-il le sentiment, évidemment éprouvé par les hommes qui l’ont conçu, suivant lequel les hommes n’auraient non seulement aucune supériorité initiale sur les autres espèces, mais qu’ils y seraient au contraire particulièrement exposés.

Le mythe laisse donc entendre par avance, que le déploiement des arts et des techniques, dépourvu du sens de la justice (Dikè) demeuré le secret des dieux, pourrait bien être finalement un problème pour l’ensemble des espèces…

C’est bien à ce point que nous sommes en effet arrivés au début du deuxième millénaire : Le plus démuni des êtres de la nature a fini par exterminer un nombre croissant d’espèces animales en menaçant un grand nombre de celles qui sont encore vivantes. Inversion totale des rapports de vulnérabilité et exposition de nombreuses espèces à la puissance de destruction des hommes.

« Droit » des animaux, ou droit concernant les animaux ?

Comment faire pour enrayer un tel processus dans lequel les hommes, impliqués dans des rapports de destruction qui les dépassent, sont tout aussi bien victimes que bourreaux ?

Face à la force, que faire ?

La question n’est pas simple, et les alertes répétées de nombreux penseurs et de diverses associations protectrices de la nature n’ont pas encore réussi à enrayer le phénomène.

Face à la force une chose semble pourtant s’imposer : celle de lui opposer le droit. L’expérience des hommes leur a en effet montré que pour échapper à la logique de la force, il était nécessaire de sortir de cette logique même, puisque la meilleure réponse qu’on puisse lui opposer, c’est sans doute d’échapper à son considérable pouvoir d’entraînement. En l’occurrence, une révolte des animaux contre les destructions des hommes est de toute façon peu probable ! Il se peut qu’une « vengeance » de la nature finisse par mettre un terme à nos actions, par la multiplication de catastrophes diverses qui nous affaiblirait, mais c’est par un choc en retour de nos diverses activités et non par une opposition des animaux que pourrait se produire le phénomène.

Mais si les hommes n’ont pas bien compris, comme le suggère le mythe de Prométhée, ce qu’aurait pu signifier une justice à même de protéger la vie, ils ont tout de même eu la géniale idée de tenter d’opposer le droit à la force ! Droit qui s’impose précisément, quand une catégorie d’êtres vulnérables est potentiellement exposée à la brutalité des autres. Tel est bien désormais le cas, pour ce qui concerne les bêtes, unilatéralement exposés à la violence destructrice de l’activité humaine. D’où la nécessité de lois concernant la protection de ces êtres vulnérabilisés par les hommes, que sont animaux.

Étant donné l’accélération du phénomène de destruction, il est évidemment impératif d’imposer aux hommes les limites que leur force de destruction n’impose évidemment pas elle-même. Or, le droit énonce toujours la possibilité et la limite. C’est bien par la marche des droits civiques et non par l’appel à la violence que les Noirs ont ainsi tenté de se faire respecter. Se situant sur le terrain du droit, ils ont ainsi manifesté qu’ils ne se situaient pas sur le terrain de la violence, mais sur celui de la raison qui fait son office par l’inscription d’interdits dans des textes officiels proclamant le caractère respectable de ce qui était jusque-là violenté.

Mais les « droits des animaux » ne sont en fait rien d’autre que ceux que nous consentons à leur accorder ! Ils ne supposent de leur part aucune réciprocité, comme on observe entre humains, pour lesquels les droits s’inscrivent toujours dans un système de droits et de devoirs. Supposer cette réciprocité aux animaux, c’est en réalité escamoter le fait que, à strictement parler, ils ne nous doivent rien et qu’ils sont entièrement et unilatéralement livrés à notre pouvoir de destruction massif. Ne pas voir que les droits des animaux ne sont autres que l’énoncé de nos devoirs envers eux, c’est minimiser l’ampleur du devoir de protection qui nous incombe. Se situer sur le terrain du droit, c’est affirmer qu’on ne va pas le faire sur celui de la violence. Encore faut-il bien mesurer que ce droit renvoie à la responsabilité unilatérale qu’impose aux hommes leur pouvoir d’extermination des espèces vivantes.

Danielle Moyse

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